Commentaire au billet de Madeleine Théodore sur le Blog de Paul Jorion.
Le capitalisme libéral fabrique la misère en fixant des règles comptables qui ne certifient que la croissance nette du capital au bénéfice des propriétaires nominaux du capital. Cet angle de vue a pour « intérêt » d’indiquer directement et explicitement aux créanciers du capital la part de la valeur ajoutée calculée d’entreprise qu’ils peuvent revendiquer en rémunération immédiate de la liquidité monétaire « prêtée » à la communauté de travail d’entreprise, à ses fournisseurs et à la société de droits qui permet l’entreprise et le calcul de la valeur ajoutée.
Le capitalisme libéral est une gnose simple et directe pour expliquer aux gens que leur bonheur dépend exclusivement du solde comptable inscrit sur leur compte en banque. Le pouvoir d’achat individuel ne dépend pas d’une quelconque production objective par un travail personnel efficient et effectif mais bien d’un calcul mystérieusement efficace du banquier qui a financé des actionnaires ; qui ont financé des entrepreneurs ; qui ont « créé » de la valeur. La valeur existe en soi par un solde bancaire créditeur non rattachable à un capital concret effectivement transformé par des gens qui travaillent à ce qu’ils désirent et touchent.
La focalisation du calcul de rentabilité des entreprises sur le bénéfice net du propriétaire du capital plutôt que sur la valeur ajoutée spécifique du travail dans le chiffre d’affaires a un motif pratique et une utilité politique. En pratique, il n’y a pas de règle absolue pour séparer le prix du travail du prix des matières dans les achats et dans la production de l’entreprise. De fait, la décomposition transactionnelle de chaque prix s’établit par un rapport de force entre chef d’entreprise et salariés pour la valeur ajoutée d’entreprise ; entre chef d’entreprise et fournisseurs pour le prix des intrants ; entre propriétaires du capital et puissance de l’État de droit pour le contexte et les critères de négociation des forces relatives engagées dans le partage de la valeur ajoutée de chaque production rentable.
L’utilité politique d’un débat public polarisé sur la seule rentabilité du capital nominal en garantie de la solvabilité liquide d’entreprise, est d’effacer dans la conscience des citoyens-consommateurs-travailleurs les prémisses du calcul de répartition de la valeur ajoutée. Les conditions du rapport de force qui fixe le prix collectif du Droit, le prix des ressources naturelles et les prix du travail de production effective sont le point de départ du procès de répartition de la valeur ajoutée. Quand en toute fin du procès, vient le calcul du solde d’exploitation brute de l’entreprise, plus personne ne peut se souvenir du détail des argumentaires de négociation des salaires et des prix de chaque transaction intermédiaire.
Précisons que le capitalisme pose la spécificité et la nécessité du facteur capital dans le procès de répartition de la valeur ajoutée par les prix. C’est la pratique du capitalisme libéral qui exclut de fait le travail des facteurs nécessaires de la valeur ajoutée finale qui n’aurait plus vraiment besoin pour exister réellement de la valeur formelle et matérielle intermédiaire du travail. Le libéralisme économique oublie délibérément le temps laborieux qui passe pour ne considérer que la marge nette de l’actionnaire propriétaire du capital. La société politique et le droit des gens qui sont à l’origine du calcul possible de la valeur ajoutée réaliste sont refoulés dans un inconscient non transformable. La raison des personnes qui se parlent ne dit plus rien.