Une réglementation ancrée dans les objectifs de la politique économique, une clé
La réalité peut échapper aux modèles financiers
La crise actuelle s'est manifestée dans sa spécificité à l'été 2007 par l'illiquidité de fonds de placement. Contrairement à ce qui en avait été vendu aux porteurs, les titres de propriété des
fonds illiquides n'avaient pas un profil de risque et de rendement parfaitement anticipé. La valeur des actifs pouvait tomber en dessous des seuils annoncés ; il pouvait survenir des événements
sur cette valeur qui la rendait illiquide. Il était impossible d'en annoncer un prix qui permette à un acheteur et un vendeur de négocier un transfert de propriété sans que l'une ou l'autre des
contreparties soit gravement lésée. Le doute n'était pas sur la mesure de la valeur mais sur l'existence de la valeur.
Acheteurs, vendeurs et teneurs de marché se sont trouvés dans l'impossibilité d'interpréter l'impact sur leurs actifs du surendettement des ménages américains dans l'immobilier. Il est apparu
progressivement que le problème n'était pas ponctuel sur une classe d'actif spécifique mais systémique. Les acteurs impliqués dans la négociation des titres subprime étaient théoriquement des
professionnels avertis du calcul financier. Certains d'entre eux engagés dans la valeur des actifs comme acheteurs de risque et vendeur de crédit se retrouvaient en faillite, dans l'incapacité de
tenir leurs engagements de crédit à leurs contreparties.
L'insolvabilité ponctuelle d'un secteur de l'économie réelle se révélait insolvabilité potentielle de tout le système financier : il fonctionnait sur des modèles de calcul non réconciliables avec
la réalité économique. Le hiatus avec la réalité est l'illiquidité : la valeur n'est pas non mesurable mais invisible. La disparition de la liquidité sur les marchés financiers est montée
sournoisement de l'été 2007 à la faillite de Lehman Brothers. Sournoisement parce qu'incompréhensible dans sa gravité par des acteurs financiers dont le métier est de négocier leur compréhension
de la valeur pour lui donner le prix nécessaire au calcul économique.
Dissimulation du risque dans le crédit
Le modèle en défaut internationalement diffusé était celui de la titrisation synthétique de risque et de crédit. Les titres subprime ainsi qu'une foultitude d'autres modèles financiers créés avec
la révolution financière du dernier quart de siècle reposent sur l'hypothèse de la modélisation de la valeur du risque par la valeur du crédit. L'hypothèse est la possibilité de conceptualiser la
valeur incertaine du futur comme ce qui en est annoncé valeur certaine : le crédit. Par le truchement des probabilités, l'incertain est assimilé au certain, mélangé au certain et négocié comme
s'il ne s'agissait que de valeur certaine.
Les financiers font très bien la différence entre valeur certaine en crédit et valeur incertaine en risque. Mais qui est bon financier ? Quand des titres synthétiques de crédit et de risque sont
vendus pour une seule valeur sans décomposition de la connaissance des causes de certitude et des causes d'incertitude, qui en refait l'analyse probabiliste ? A partir de l'été 2007, le système
financier redécouvre progressivement que la valeur d'un engagement nommé par un contrat ou par un titre dépend des contrats et titres qu'il contient lui-même. Et que la valeur des contrats et des
titres dépend de l'identification des personnes engagées par les contrats et des personnes originatrices du titre.
La crise systémique est le constat de l'ignorance massive de la solvabilité-même des personnes engagées dans les contrats financiers : la finance déconnectée de l'économie réelle. Elle est aussi
la découverte de la méconnaissance d'une cause fondamentale de la valeur financière : l'origination. L'origination est justement la production de modèles de la valeur financière qui lui donne un
prix et la rende négociable, liquide. L'originateur n'est pas le propriétaire ou le prêteur de la valeur ; il la définit pour qu'elle puisse avoir un propriétaire, qu'elle revête un intérêt à
être détenue en propriété et que cet intérêt ait un prix sur le marché financier.
Origination financière et mystificationn
Les 20 propositions pour réformer le capitalisme analysent finement le problème de l'origination et démontrent à quel point ces fondations de la valeur financière ont été préemptées par les
acteurs les plus compétents et soustraits à l'attention des régulateurs. L'origination initie l'anticipation de la valeur. Elle décortique les projets, mesure les parts certaine et incertaine de
leur valeur future, mobilise l'épargne pour financer le crédit, attribue l'anticipation du risque à des acteurs intéressés et capables à en maximiser la valeur incertaine.
La valeur financière anticipation du futur n'existe pas de manière palpable mesurable indépendamment de celui qui l'origine. L'origination, c'est à dire la délimitation par rapport à des
acheteurs ou vendeurs de crédit et de risque, précède nécessairement la mesure qui va déboucher sur un prix d'échange. L'absence de régulation est l'impossibilité de fait pour tout acheteur ou
vendeur de la valeur financière de s'approprier les constituants de la valeur financière à son origine. L'originateur est seul maître de la définition même de la valeur échangée. Tant qu'il
existe une offre et une demande pour un prix dont personne ne doute, les négociateurs de la valeur financière ne voient que le résultat probable de l'anticipation.
Mais quand le contexte de la valeur change substantiellement, insolvabilité de certaines catégories de débiteurs, incertitude majorée du prix futur de certains actifs, l'originateur est interrogé
sur la fidélité de son modèle à la nouvelle réalité. Les acheteurs et vendeurs ont besoin de vérifier que la part risquée des actifs financiers n'est pas sous-estimée par rapport à la part non
risquée due à des emprunteurs. Si l'origination a sous-estimé la valeur en risque, cela signifie que la valeur en crédit devient une anticipation incertaine. Tout créancier n'a peut-être pas
entre les mains la valeur que le décompte financier lui accorde.
Fiction réglementaire
L'origination est la part non physique de la valeur ; celle dont la cause est dans la nature des engagements pris indépendamment de leur objet. Celle qui relie les conditions objectives de la
valeur à la responsabilité des hommes qui l'engagent. Si la valeur est un crédit, il existe quelqu'un pour la rembourser et quelqu'un pour garantir le risque de crédit, pour pallier la possible
défaillance du débiteur de quelque montant qu'elle soit. Si la valeur est un risque, il existe quelqu'un pour l'assumer que son résultat soit positif ou négatif à l'échéance. Le résultat négatif
de la valeur en risque est la réduction possible d'un patrimoine réel identifiable. Une personne financièrement responsable assume tout l'écart que la réalité révèle à une échéance donnée entre
la valeur anticipée à l'origine et la valeur effectivement réalisée.
La deuxième réglementation du Comité de Bâle actuellement en vigueur impose aux acteurs financiers des règles d'origination. Les institutions financières par elles-mêmes matrice d'origination
sont invitées à un strict départ dans leurs comptes de la valeur en risque et de la valeur en crédit. Leur valeur en risque ne peut dépasser la perte maximale envisageable sur la durée nécessaire
à une possible recapitalisation. Tous les risques doivent être évalués et couvert par un montant de fonds propres qui exclut toute imputation des pertes possibles à des créanciers.
Si les contraintes identifiées par Bâle II d'une origination conforme à ses finalités ne sont pas discutables, la crise a démontré qu'elles ne font pas système. Les opérations non conformes à la
réglementation ont été domiciliées en dehors du périmètre réglementé chez des acteurs non soumis à la réglementation ou hors du périmètre de contrôle des autorités de régulation. L'intérêt a
produire des modèles pleinement réalistes de la valeur s'est révélé partout trop faible. L'intérêt a surestimer le crédit pour maximiser les anticipations de bénéfice s'est révélé partout trop
fort. Le système financier mondial n'a pas trouvé par lui-même un niveau maîtrisable de levier du risque par le crédit.
Pas d'intérêt à la stabilité
Dans son organisation actuelle, le système financier n'a pas en lui-même d'étalon objectif de mesure du risque. Le risque est à la fois un bénéfice et un coût, bénéfice quand les anticipations se
réalisent au niveau fixé, coût quand les bénéfices réalisés sont inférieurs au seuil de rentabilité. Les acteurs financiers rentables sont nécessairement ceux qui mentent sur la réalité de leurs
risques. La mesure réaliste des risques est nécessairement trop coûteuse dans un contexte de concurrence : pour être compétitif et garder une chance d'être rentable, il faut nécessairement se
penser a priori plus apte que les autres à réduire le risque à son coût minimal. Donc à travailler avec moins de fonds propres que les autres pour une même niveau de risque.
Le succès financier des activités d'origination a provoqué le désastre. Il a reposé sur la spécialisation de quelques acteurs dans la vente de modèles reportant le risque sur des opérateurs non
informé. Contre commissions acquises définitivement à l'origine, des montages financiers ont été vendus comme générateurs de bénéfices pour une mise de départ moins élevée que dans la moyenne du
marché pour des risques prétendus équivalents. Ces modèles ont stimulé les anticipations financières en crédit et en risque au-delà de ce que la réalité permettait vraiment. Aussi justifiée et
pertinente soit-elle, la réglementation de Bâle n'a pas de motif d'être appliquée parce que contraire aux intérêts intrinsèques des opérateurs financiers.
La norme de couverture des risques par les fonds propres des acteurs financiers n'a de sens que non originée par l'origination des risques. Elle doit bien être dynamique, auto-ajustée à la mesure
variable des risques au fil du temps. En confier la modulation aux banques centrales et derrière elles aux autorités publiques est bien ce qui a été fait depuis octobre 2008. Les financements
publics se substituent au financement des risques par le marché. Les opérateurs sont garantis quelle que soit l'évolution de leurs risques. La puissance publique n'a pas d'outil de mesure du
risque plus efficace que le marché. Elle ignore tout autant que le marché le niveau d'incertitude des anticipations que les opérateurs se dissimulent entre eux pour se remettre en certitude.
D'anciens principes de prudence
Risque et crédit puisent leur valeur à la même source : l'anticipation du futur. Si les mêmes anticipent le futur certain de la valeur en crédit et le futur incertain de la valeur en risque, ils
ne peuvent pas manquer de forcer leur certitude en minimisant nominalement l'incertitude tout en la maximisant réellement. Si le régulateur prend sur lui d'encadrer la psychologie naturelle du
marché, il devient lui-même facteur de risque en imposant une contrainte imprévisible sans fondement objectif. Odilon Maucour suggère la solution du dilemme dans sa conclusion. Le marché doit
devenir son propre régulateur en s'organisant selon cette fin.
Les opérateurs de crédit ne peuvent pas opérer le risque. Les opérateurs de risque ne peuvent pas opérer le crédit. Les opérateurs de marché n'opèrent ni le risque ni le crédit. Ils pèsent le
risque et le crédit offerts séparément sur le marché pour établir un prix d'équilibre avec la demande. L'offre de risque est limitée par la demande de risque et réciproquement. L'offre de crédit
est limitée par la demande de crédit et réciproquement. Le crédit n'est pas le risque et le risque garantit le crédit. Tout crédit est couvert par un opérateur de risque qui vend sa couverture au
prix du risque de contrepartie. Le marché distinct des opérateurs de crédit et de risque régule le crédit et le risque. Le régulateur public régule la distinction et la complémentarité des
opérateurs de marché, de crédit et de risque.