Controverse sur la réalité d'une liberté humaine
A la relecture des deux textes qui font controverse entre Michel Leis et moi-même sur la familiarité éventuelle entre le nazisme et le libéralisme, on discerne les deux positions cosmologiques mises en opposition dialectique par le grand tournant actuel de la civilisation humaine. A mon interrogation sur les conditions de possibilité d'une humanité responsable de son histoire et de son devenir sur la planète terre, Michel oppose le constat d'un ordre établi par des rapports de force qu'il faut reconnaître tels quels faute de pouvoir réellement les transformer.
La réponse de Michel à mon billet « extirper l'euro du nazisme financier » est construite en trois étapes. Première étape : poser par l'histoire l'objectivité des phénomènes du libéralisme et du nazisme. Deuxième étape : établir les bases d'une causalité du devenir humain par l'irréversibilité matérielle du temps qui empêcherait le présent d'être en une quelconque manière cause du passé. Troisième étape : dénoncer l'incongruité logique et historique d'une familiarité ontologique entre le nazisme et le libéralisme pour le motif que cette familiarité serait la cause indicible de la montée de « l’extrême droite populiste » en Europe.
Résumons la thèse qui suscite le contre-feu de Michel à cause de son apparente sympathie avec le populisme de droite. Mon sujet est le rôle de la monnaie dans le vivre ensemble au sein des sociétés humaines. En partant d'une histoire spirituelle judaïque des civilisations, j'énonce que la monnaie matérialise les conditions de possibilité du vivre ensemble entre des humains qui se conçoivent comme des personnes individualisées par les sociétés dont ils vivent. J'énonce que la sortie d'Egypte du peuple d'Israël marque le début de l'histoire de l'homme en tant que personne en relation avec soi-même par l'altérité des modes de vie singuliers, infinis et réticulaires dans des sociétés politiques.
La thèse que j'actualise est entièrement formée au moins depuis la scolastique du Moyen-Age. Elle a été méthodiquement démontée par la modernité depuis Galilée pour être totalement récusée par le libéralisme et contre-appliquée par le nazisme. Le déchaînement nazi contre les sémites a attaqué l'existence de la personne humaine à sa racine. La solution finale a industrialisé l'élimination du peuple juif comme personne eschatologique des sociétés humaines historiques unies par delà le temps, la géographie, les races, les nations et les États ; lesquels n'ont cessé de se dissoudre dans la guerre mondiale chaude puis froide d'aujourd'hui. Le libéralisme, qui s'effondre depuis la faillite des subprimes, s'efforce par le présupposé de l'irréalité de la parole et du verbe entre les hommes, de faire croire à l'inexistence de la personne responsable.
La récusation de la réalité aristotélicienne par les idéologies financières platoniciennes
Le capitalisme libéral, qui vit actuellement ses dernières heures, est comme le nazisme un matérialisme total : seule la matière divisible est réelle ; la réunion des humains par des liens vitaux qui ne soient pas de l'ordre exclusif de la physique est juste une entrave à la toute puissance réelle de l'individu. Ce qui diffère entre le nazisme et le libéralisme, c'est l'échelle de manifestation de la réalité toute puissante de l'individu : pour le premier, c'est la race physique et pour le second c'est le génie supérieur de la race des entrepreneurs marchands capables de capitaliser sur le futur.
Pour le nazisme comme pour le libéralisme, le mode de vie normal au sein de l'espèce humaine est la guerre génocidaire. Les nazis exterminent les espèces inférieures à la race allemande. Les libéraux ne s'attaquent pas directement aux corps physiques ; ils font de la programmation neuro-linguistique pour induire un comportement des individus conforme à la cosmologie platonicienne de la populace nécessairement inculte et dépendante de la lumière des financiers philosophes. Le capitaliste sait par nature ce que le travailleur ne peut pas savoir ; le capital mathématique est la lumière hypnotique du troupeau des travailleurs bêtes. Et dans le nazisme et dans le libéralisme, l'irréalité du verbe interdit que l'homme ait conscience de soi par la reconnaissance de l'autre égal en nature.
La réinterprétation de l'histoire capitaliste du monde sous l'angle de la rationalité monétaire libérale est effectivement désagréable à l'esprit contemporain qui a désappris la distinction entre la réalité et les représentations. Techniquement, le système monétaire instauré par la révolution industrielle a changé la « collatéralisation » de la masse monétaire. La mesure des prix par le travail a été remplacée par l'anticipation en capital mathématique de la production envisagée en géométrie monétaire. L'effort de chaque personne individuelle à rendre des services réels à ses alter-égos a été remplacé par le calcul des financiers omniscients et tout-puissants. Les prix abstraits du présent sont actualisés par la croissance décrétée des prix dans le futur.
Le processus cognitif de dématérialisation du réel en monnaie de capital qui ne connaît pas le travail s'est achevé dans la déréglementation des années quatre-vingts. Les États de droit ont perdu le contrôle des monnaies par l'indépendance des banques centrales et par la suppression légale des frontières monétaires qui nationalisaient le capital. La nationalité du capital était l'assurance des personnes par les droits du travail concrètement appliqués dans les souverainetés nationales par la monnaie. Tant qu'un système national de droit était représenté et appliqué par une seule et même monnaie dans un périmètre économique identifié, les institutions politiques des sociétés nationales étaient responsables de la transformation par les personnes du travail en capital.
Déconnexion libérale entre monnaie et vivre ensemble
L'identification des monnaies aux nations souveraines permettait un vivre ensemble international dans la pluralité des droits personnels individuels et collectifs. Les différentiels de performance économique entre des nations et des systèmes monétairement distincts étaient rationnellement compensables par la réévaluation ou la dévaluation des monnaies les unes par rapport aux autres. Avec l'avènement de la livre sterling puis du dollar comme monnaie mondialiste puis la création de l'euro comme monnaie unique de plusieurs États non unifiés par une vraie politique de communauté, la matérialisation par la monnaie des identités juridiques des personnes nationales et citoyennes a été totalement détruite.
Par la monnaie mathématique déclarée ontologiquement neutre, le libéralisme a détruit la possibilité d'existence matérielle de la personne individuelle, nationale, internationale et mondiale. Là est l'antisémitisme du capitalisme libertarien qui justifie le néologisme de nazisme financier. Michel conclut sa critique de l'analogie du libéralisme au nazisme par le devoir de combattre ce dernier système les armes à la main. C'est effectivement la bonne conclusion à la condition de ne pas s'enfermer dans le piège antisémitique d'indifférence à la personne réelle. Le piège nazi tendu par le libéralisme est précisément d'inciter la personne à se détruire en tuant des personnes directement ou indirectement par la virtualité financière.
Phénoménologiquement le système nazi a été enfanté par les démocraties libérales qui ont voulu prendre les bénéfices de leur victoire matérielle sur la nation allemande dans la première guerre mondiale. Matériellement la crise économique et financière des années trente a été provoquée par l'impossibilité de rembourser les fausses dettes de guerre par quoi les démocraties libérales ont cherché a simulé la valeur de leurs monnaies, spécialement le dollar et la livre sterling. Formellement, la crise des années trente a matérialisé l'impuissance financière des États libéraux radicalement incapables de mesurer leur responsabilité par la régulation monétaire du capital et de la dette.
Il est évidemment particulièrement troublant de constater que les nazis ont été élus démocratiquement par les Allemands pour remplir le vide de la république libérale de Weimar ; que seuls les nazis ont redressé l'économie avant la deuxième guerre mondiale en fermant les frontières financières afin de remettre le reichsmark au service d'une prospérité allemande. La guerre entre le nazisme et le libéralisme ne prouve pas que l'intention d'éradication de la nature personnelle du genre humain ne soit pas commune aux deux idéologies. Le nazisme s'est attaqué physiquement aux Juifs et aux Slaves ; le libéralisme use les consciences aux dépens du travail et des plus pauvres.
La monnaie comme articulation négociable des représentations à la réalité
Il est peut-être temps à la veille d'élections européennes capitales de déconstruire la rhétorique mécaniste de l'euro libéral. Il n'est pas question de nier les bonnes intentions pacifistes et unicistes des fondateurs de l'euro ni la menace mortelle d'un morcellement du monde. Mais les représentations ne font pas nécessairement une réalité surtout quand l'expérience humaine tri-millénaire de la monnaie montre que la structure libre de la politique monétaire détermine justement la réalisation économique des représentations.
Qui est capable d'expliquer comment l'indépendance de la banque centrale européenne, la libre circulation interne et externe du capital dans la zone euro et la fusion des comptabilités publiques nationales dans une seule monnaie n'est pas la cause de la non-régulation des banques, de l'explosion irrépressible des dettes à prime réelle négative, et de la neutralisation absolue des gouvernements nationaux dans la régulation de l'économie par le Droit ? Qui est capable d'expliquer comment les Européens vont se remettre au travail s'ils produisent la même chose que les non-européens pour deux fois plus cher à cause des capitalistes en euro qui croient dominer le monde avec une monnaie abstraitement forte ?
Les libéraux de droite et de gauche tombent à bras raccourcis sur les « extrêmes » de droite et de gauche qui disent ce qu'elles voient. Les extrêmes sont populistes parce qu'elles remarquent qu'il est difficile de produire sans travailler, qu'il est difficile de travailler sans être protégé par un État de droit et qu'il est difficile d'avoir un État de droit efficient sans frontières pour tracer la responsabilité publique dans la réalité. Le nazisme financier banalise son irresponsabilité humaine en jouant dialectiquement sur sa structure mentale analogue à celle du nazisme allemand historique. L'euro-nazisme repousse les peuples dans les extrêmes pour les forcer à la révolte violente. Ainsi les libéraux suspendront-ils la démocratie pour la défendre contre elle-même : la dictature financière du capital monétaire sera consacrée par le fait-même de la réalité indiscutable.
Le piégeage libéral de la démocratie est à la fois dérisoire et radicalement efficace. Dérisoire parce que seuls quelques forcenés des stock-options, des commissions défiscalisées et des petits privilèges de la société médiatique y croient réellement. Radicalement efficace parce que le contrôle de la monnaie achète les consciences, donc la capacité des personnes privées et morales à travailler à la construction réelle du vivre ensemble. Tant que la monnaie n'est pas rendue à la responsabilité personnelle des citoyens et des sociétés politiques de citoyens, la guerre de tous contre tous assure la concentration du capital entre quelques mains cupides et dévastatrices.
Indexation de la monnaie sur la démocratie par la compensation internationale publique
L'indexation de la masse monétaire sur la responsabilité personnelle individuelle et collective de la réalité du vivre ensemble implique nécessairement des nations et des États. Des nations définies par des solidarités humaines effectives dans une même personnalité morale étatique. Des États constitués par une façon commune de dire et d'appliquer la loi identique à un même ensemble de citoyens existant dans leur corps physique. Enfin, les nations à leurs différentes échelles de solidarité doivent s'associer par différents degrés homologues d'États.
Les élites libérales ont condamné à mort la réalité politique et économique de l'Union Européenne par le nazisme de la monnaie unique dirigée de Francfort. Les conséquences de ce nazisme-là seront plus définitives que celles du nazisme historique : effondrement des peuples européens, misère économique, haines raciales et disparition de la civilisation de la personne qui sait ce qu'elle est en sachant que l'autre sait ce qu'elle sait. Les États-Unis et la Chine ne financeront pas l'économie réelle du savoir numérique à la place des Européens.
La monnaie est l'unité comptable du savoir humain de ce que les personnes sont par l'échange intersubjectif. Le réseau informatique mondial dans un monde dénationalisé par la destruction libérale des États a donné à la finance privée le monopole de la monétisation des prix. La simple renationalisation de l'euro suffit à rétablir la démocratie. Nationaliser l'euro signifie adosser la Banque Centrale Européenne à un État confédéral à compétence financière et fiscale ; déprivatiser le marché des changes en euro sous la Confédération de l'euro ; enfin restaurer la responsabilité économique des États par des monnaies nationales exclusivement dérivables d'un euro confédéral.
Paradoxalement c'est bien la politique monétaire jadis appliquée par le docteur Schacht sous les nazis qui permettra la renaissance de la démocratie en Europe. Évidemment, les libéraux hurleront à la dictature fiscale populiste puisqu'il s'agirait de soumettre le capital et la monnaie à la loi des nations et de transformer l'euro en monnaie internationale d'assurance du travail contre la prédation du capital financier. La politique libérale européenne a fait faillite en renonçant à réguler la vérification des réalités humaines par les personnes matériellement responsables.