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10 novembre 2011 4 10 /11 /novembre /2011 16:24

La monétisation des dettes publiques est de plus en plus évoquée comme solution provisoire voire définitive à la crise de l'euro. De quoi s'agit-il ? En temps normal, donc avant 2007, la Banque Centrale Européenne (BCE) émet de la liquidité en euro contre le dépôt de titres de dette publique. Pour 100 de monnaie émise, la BCE réclamait aux banques à qui elle prêtait environ 115 de « collatéral » en dette de la meilleure qualité ; 115 d'une dette qui selon les marchés et selon les agences de notations vaudrait effectivement 115 à l'échéance après paiement du principal et des intérêts contractés à l'origine.

Perte de la monnaie sûre

Adossement de la monnaie au crédit

A partir de la crise des subprimes, la BCE doit faire face à une crise de liquidité du marché inter-bancaire européen. Certaines banques n'inspirent plus confiance du fait de l'accumulation non clairement mesurée d'actifs toxiques dans leurs comptes. La BCE devient alors moins exigeante pour ses allocations de liquidité. Elle abaisse le rapport de couverture de ses émissions par le prix des titres qu'elle prend en garantie.

Depuis 2007, le prix de marché total des titres de dette déposés à la BCE contre le montant des euros prêtés aux banques n'a cessé de baisser. Le prix de marché du collatéral déposé à  la BCE est nettement en dessous de la liquidité détenues par les banques dans leurs comptes de dépôt centraux. Le taux de couverture de l'euro par la dette en euro reste néanmoins au-dessus des taux correspondant pour le dollar ou la livre sterling.

La politique de « quantitative easing » (QE) de la Fed et de la Bank of England a explicitement consisté à racheter sur le marché financier secondaire des titres de dette décotés. Pour 100 de monnaie émise, la Fed et la BoE ont récupéré des titres cotant par exemple 80 pour un nominal de 100. Le QE consiste à émettre plus de monnaie que la valeur probable de remboursement des titres de crédit à l'échéance.

Monnaie de droit incertain

Dans le QE, le critère quantitatif d'émission de la monnaie par la banque centrale n'est plus le crédit certain mais le crédit incertain ; le crédit dont le prix de marché est inférieur au prix nominal remboursable à l'échéance. Depuis le début de la crise des dettes publiques dans la zone euro, la BCE s'est mise au QE par nécessité. Elle rachète des titres publics en dessous de leur valeur nominale pour empêcher le taux d'intérêt propre à l'émetteur de monter ; et pour ne pas enregistrer des pertes dans ses comptes.

Quand un titre vaut sur le marché moins que la monnaie récupérée par son émetteur, cela signifie que les acheteurs potentiels du titre anticipent que la monnaie en général va perdre du pouvoir d'achat ou que l'emprunteur en particulier ne pourra pas rembourser toutes les unités monétaires empruntées. Le taux d'intérêt de marché d'un titre estime à la fois la contrevaleur de la monnaie à l'échéance et le crédit de l'emprunteur.

Le rachat aux institutions financières de dettes publiques de la Grèce, de l'Espagne, de l'Italie et du Portugal par la BCE en dessous du prix nominal des titres en monnaie fait prévaloir la définition juridique de la monnaie sur la valeur empirique de marché. En l'occurrence, l'inexistence juridique du défaut d'un État dans la zone euro autorise la banque centrale à acheter des titres publics comme s'il était impossible qu'ils ne puissent pas être intégralement remboursés.

Monétisation des dettes publiques, quelle finalité ?

Spéculations juridiques et financières

La monétisation de la dette publique est l'affirmation par la banque centrale qu'une unité de compte du prix de la dette publique ne peut pas avoir moins de valeur qu'une unité de monnaie. Autrement dit, les marchés sont réputés se tromper s'ils anticipent une perte de valeur de la monnaie par l'achat de titres publics nettement en dessous de leur prix nominal.

La monétisation des dettes publiques en dollar, euro et livre sterling est un pari sur le fait que le marché n'aura pas le dernier mot quant à la vraie valeur de la monnaie en crédit public. Ce pari affirme que l'utilisation de la monnaie par l'emprunt public est nécessairement efficace ; que la dépense publique ne peut pas produire moins de richesses qu'elle en distribue en monnaie ; qu'il est impossible que l'Etat ne rembourse pas l'intégralité de la richesse qu'il a promise et empruntée.

Du point de vue empirique du marché, la monétisation des dettes publiques permet de jouer avec la parole publique qui dit et applique la Loi. Ceux qui ne croient pas à la capacité réelle des États à respecter leurs promesses vendent des assurances sur le crédit public. Plus la parole publique apparaît douteuse quelles qu'en soient les raisons, plus les vendeurs du crédit public s'enrichissent par l'augmentation des primes de crédit ; primes que les véritables prêteurs achètent quand ils perdent confiance dans la parole publique.

Contradictions et négations

Les partisans de la monétisation des dettes publiques font valoir qu'un privilège d'accès public à la liquidité centrale diminue le taux d'intérêt et par conséquent la charge d'intérêt pesant sur le contribuable et l'économie réelle. Mais l'argument factuellement vérifié cache deux positions contradictoires quant à la logique de régulation des marchés financiers par la régulation de la monnaie.

La première position ne veut pas ou ne sait pas réguler les marchés. Elle affirme qu'il faut réserver l'appréciation du crédit public à la banque centrale qui fournit directement aux États la liquidité correspondante. Mais cela signifie soit que les États déterminent la politique des banques centrales quel que soit l'équilibre final des finances publiques, soit que les banques centrales contrôlent les budgets au-dessus des parlements.

La deuxième position pose une hypothèse de direction publique des marchés. Comme les intérêts particuliers ne sont pas efficients à déterminer un équilibre général des prix comptant et à terme, la puissance publique détermine sa propre capacité d'emprunt en fixant les principaux prix ; c'est à dire en dirigeant l'économie. Les États étant divisés, les marchés doivent être cloisonnés et les prix internationaux fixés par des accords politiques internationaux.

L'économie en conflit avec la politique

Le mode « libéral » de monétisation des dettes publiques soumet la stabilité monétaire à la discipline budgétaire du pouvoir politique exempté de contrainte économique au présent ; ou bien à la planification économique par la banque centrale exemptée du contrôle de la démocratie. La finance non régulée par l'intérêt général continue de faire des plus-values sur les erreurs politiques de la banque centrale ou sur les erreurs économiques du pouvoir politique.

Le mode autoritaire de monétisation de la dette publique casse la spéculation financière en supprimant la libre négociation des prix de l'investissement et du crédit. Comme en Chine, les banques deviennent des administrations publiques. Elles déterminent les prix et la distribution des richesses par l'octroi de crédit selon les priorités et les préférences du pouvoir en place.

Autoritaire ou libérale, la monétisation de la dette publique fusionne le pouvoir politique et le pouvoir financier. Elle supprime la responsabilité financière personnelle du crédit : de celui qui prête, à assumer la possible incapacité de l'emprunteur à tout rembourser ; de celui qui emprunte, à fournir une comptabilité réaliste de sa capacité à rembourser. L'irresponsabilité financière dissocie la parole de la réalité ; elle rejette le coût de l'incertitude et de la démagogie sur les faibles non initiés aux arcanes de la finance.

Système de réconciliation

Compensation publique des primes d'assurance

L'alternative à la monétisation des dettes publiques est la multinationalisation des assurances de crédit ; donc la régulation financière par la compensation publique des primes d'assurance du crédit des États, des banques centrales et des banques. La compensation internationale est déjà pratiquée hors de tout contrôle public à l'intérieur de la gestion comptable des opérateurs financiers multinationaux.

La compensation privée actuellement en vigueur peut être simplement doublée par une compensation publique dans un étalon de crédit multinational ; par exemple l'euro transformé en monnaie commune ou le panier de monnaies du Droit de Tirage Spécial (DTS) muté en monnaie émise par le FMI. Les monnaies libellant les dettes sont alors cotées par les primes de crédit des banques centrales.

Dans une compensation générale des primes de crédit où la monnaie étalon est émise à proportion de l'équilibre des achats et ventes de prime, la parité de change des monnaies en étalon multinational s'ajuste en fonction de la solvabilité de l'ensemble des emprunteurs. Si un État se trompe dans ses anticipations budgétaires ; si une banque centrale se trompe dans l'évaluation de la qualité générale des crédits consentis dans sa monnaie ; ou si les banques se trompent dans l'évaluation de la solvabilité de leurs débiteurs, la monnaie mal gérée est automatiquement dévaluée.

Restructuration permanente des dettes par le réel anticipé

Les ventes de prime dans la compensation multinationale publique indiquent une émission effective de dette ; ou la défiance avérée dans un émetteur de dette ; ou le calcul de la part non remboursable d'une dette à l'échéance. Les trois causes de vente du crédit d'un débiteur ont trois conséquences. Elles informent le débiteur des doutes qu'il inspire avant qu'il n'emprunte davantage. Elles informent le marché de sa capacité à assumer les pertes des débiteurs. Elles informent l'économie des limites présentes de l'anticipation du futur.

Le principe d'assurance efficiente du crédit dans la compensation générale en monnaie multinationale est l'achat réel des pertes de crédit potentielles de tout emprunteur. Dès qu'un emprunteur public ou privé, bancaire ou non, voit sa prime de crédit tomber à zéro, toutes les primes de crédit antérieurement achetées pour garantir le débiteur vont réduire la dette par remboursement anticipé des créanciers.

Les garants d'une dette en monnaie multinationale sont appelés en compensation jusqu'à ce que la réduction de la dette soit suffisante pour que de nouveaux acheteurs de la prime se présentent pour garantir l'encours résiduel. Comme toutes les primes sont compensées sur un même marché, les garants des États limitent leurs risques en vendant la prime des banques centrales et des banques. De même les garants des banques se protègent en vendant la prime des banques centrales et des États ; et donc en faisant baisser la parité de change en monnaie multinationale.

La réalité financière humainement lisible

La compensation en monnaie multinationale crée financièrement trois réalités indépendantes et ajustables là où il n'en existe que deux actuellement en conflit irrémédiable. La réalité de la finance est vouée par l'étalon de crédit multinational à rechercher en permanence l'équilibre entre la réalité de l’État de droit financée par les dettes publiques et la réalité de l'économie des échanges financée par le capital des agents économiques.

Dans l'actuelle organisation financière du monde, les acteurs financiers publics et privés sont autorisés à mélanger la mesure du capital et la mesure du crédit. Les banques et les États dissimulent leur solvabilité réelle en décidant par eux-mêmes ce qui est dans leurs comptes, capital ou crédit. Les banques centrales sont donc aveugles pour émettre de la monnaie contre du crédit vraiment garanti par du capital.

Avec un étalon de crédit multinational compensé infongible dans les monnaies nationales, les souverainetés nationales sont évaluées par la parité monétaire en monnaie multinationale. Les pays maîtrisant leurs finances publiques, régulant leur système financier et exportant des richesses réelles attirent des primes de crédit dans leur monnaie. Alors la finance devient la construction du réel par les droits de l'homme.

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Pierre Sarton du Jonchay
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