Paradigme européen de démocratie financière
Les négociations franco-allemandes sur la constitution de la Facilité Européenne de Stabilité Financière ont opposé deux conceptions de la régulation monétaire. Les Allemands sont attachés à une stricte proportionnalité entre l'émission monétaire par la banque centrale et les anticipations de la croissance réelle. La croissance allemande se décide et se construit au sein de la société par le fonctionnement de la démocratie.
Les Français ont avancé une vision plus volontariste de la monnaie. La monnaie est un instrument du pouvoir politique pour stimuler ou soutenir l'économie. Si la société ne parvient pas à trouver par elle-même les leviers de son développement économique, le risque de l'inflation monétaire mérite d'être courru. Entre visions germanique et latine de la monnaie, l'euro reste pour le moment officiellement du coté de la neutralité politique de la monnaie.
La question reste en suspens : existe-t-il un système monétaire qui puisse concilier la rigueur démocratique et la politique active de la monnaie ? Est-il possible de garantir la liquidité des finances publiques par la création monétaire centrale ? Y a-t-il un accord possible entre les conceptions monétaires des Français et des Allemands ?
La conception germanique de la monnaie indexée sur le marché et la conception latine de la monnaie outil de compensation des transactions peuvent se réconcilier dans un système commun de monnaies : euro monnaie commune de politiques monétaires nationales. L'euro est la monnaie de négociation européenne des monnaies nationales coordonnées par une politique européenne de développement.
Les monnaies du système commun européen sont émises comme conséquence d’un marché européen de compensation internationale des échanges économiques et politiques. En l’occurrence, les Européens restaurent des monnaies nationales convertibles uniquement en euro afin de construire la politique monétaire de développement commun.
Le pouvoir libératoire de l’euro serait strictement limité aux transactions interbancaires et inter-étatiques à l’intérieur de la zone euro. Dans tous les États de l’Union Européenne, le pouvoir libératoire des monnaies dans les transactions courantes est alors réservé aux monnaies émises par les banques centrales nationales (éventuellement associées entre pays économiquement et juridiquement homogènes).
A l’intérieur de la zone euro, les États s’interdisent des crédits et des règlements internationaux autrement qu’en euro. Les dettes publiques sont converties en monnaie nationale mais garanties en euro par un marché officiel public de CDS en euro. La conséquence fondamentale de la compensation en euro des monnaies nationales de la zone euro est la couverture de toutes les dettes publiques et privées, bancaires ou non bancaires par les parités de change en euro.
Toute économie nationale surendettée pour une quelconque raison se dévalue en euro. La dévaluation est limitée par la compensation de la prime de change nationale contre les primes de crédit des débiteurs nationaux. Les parités de change internes à la zone euro sont intrinsèquement équilibrées par la solvabilité à terme et la liquidité instantanée. La liquidité résulte de l’ajustement des prix intérieurs à la production effective de biens et services.
La parité en euro est nécessairement déterminée par le crédit intérieur et extérieur alloué à l’offre nationale en réponse à la demande nationale et extérieure. De même la parité à terme compensée en euro est nécessairement en phase avec la solvabilité des agents économiques nationaux. Le prix des erreurs d’anticipation économique des créanciers est imputé sur les primes de crédit en euro souscrites par les garants des débiteurs. Tout débiteur garanti en euro doit rendre des comptes sur son activité réelle afin d’éviter l’effondrement de sa prime sous laquelle il peut emprunter.
L’euro monnaie commune indexée sur un marché européen de garanties de crédit en monnaies nationales non convertibles satisfait les Allemands. Il est impossible d’émettre de la monnaie hors d’un marché de légalité. Elle satisfait également les Français. Les budgets publics sont intégralement garantis : la parité monétaire nationale compensée en euro assure quoiqu’il arrive la liquidité domestique.
La dévaluation compétitive est sans intérêt puisqu’elle provoque une augmentation des primes de crédit en euro et le tarissement des crédits internationaux et intra-européens. La fuite des capitaux nécessaire à la dévaluation compétitive est légalement impossible à l’intérieur de la zone euro puisque toutes les sorties de capitaux sont tracées dans la compensation en euro. Non seulement les sorties de capitaux sont fiscalisées mais elles obligent à vendre la monnaie nationale contre euro et donc à rembourser les primes de crédit des créanciers extérieurs.
La compensation en euro interdit la dévaluation par des exportations clandestines de capitaux. Les capitaux libellés en monnaies nationales européennes sont inexportables par l’inconvertibilité des monnaies nationales dans la zone euro comme actuellement le yuan en dollar. Les créances des non-résidents sur l'Union n'ont de valeur juridique que libellées en euro. L’euro monnaie commune de monnaies nationales inconvertibles a pour effet de « re-symétriser » tout le système monétaire international.
L’Union Européenne n’utilise plus le dollar à l’intérieur de sa zone monétaire. Les banques de l’Union n’ont plus accès aux liquidités à la banque centrale nationale ou à la BCE si elles utilisent des dollars. La négociation financière en dollar à l’intérieur de la zone euro est inconvertible dans une quelconque monnaie de l’Union sans passer par la compensation commune et par la cotation du dollar en euro selon les règles de droit de l’Union.
La parité de l’euro en dollar est dé-privatisée. La parité du dollar en euro dépend des souscriptions de primes de crédit compensées en euro sur les débiteurs en dollar. Si les débiteurs en dollar sont plus solvables que les débiteurs en euro, le dollar se réévalue. Dans le cas contraire, l’insolvabilité des débiteurs dollar sur des créanciers couverts en euro provoque la dévaluation du dollar. Les mouvements du dollar face à l’euro sont sans impact sur la compétitivité internationale des Européens qui est mesurée par les parités nationales en euro.
L’euro monnaie commune de compensation internationale en droit européen est de fait un étalon mondial de stabilité de la monnaie et du crédit. La Chine peut vendre l’intégralité de ses réserves de change en dollar pour les racheter en primes de crédit euro. Toutes ces réserves sont réinvesties par le système bancaire euro travaillant exclusivement en euro sans relations avec les systèmes bancaires nationaux européens autrement que par la compensation des changes et du crédit en euro.
Les banques en euro investissent dans les monnaies de leur choix mais en droit européen ; c'est-à-dire en se garantissant elles-mêmes par l’émission de prime de crédit sur leur propre capital et sur l’ensemble de leurs dettes. L’investissement par l’euro dans n’importe quelle monnaie produit une information transparente du créancier sur la nature des risques pris.
Les investisseurs chinois disposent en euro de la cotation du CDS sur le Trésor étatsunien comme de tous les Trésors nationaux de la zone euro. Ils disposent également de la cotation de la prime de change de toutes les monnaies du monde en fonction de la transparence en euro des débiteurs.
Le shadow banking et les paradis fiscaux sont privés de liquidités par la compensation publique en euro. La compensation européenne en monnaie commune est par construction un système de transparence comptable et juridique. Tout épargnant ou investisseur international en monnaie non compensée s’expose à l’illiquidité de son dépositaire ou de son débiteur. L’illiquidité d’une monnaie est visible en temps réel par la parité comptant en euro. Toute monnaie n’inspirant plus confiance est instantanément vendue en euro.
La compensation fait monter la prime de crédit en euro de tous les débiteurs de la monnaie illiquide tandis que la parité comptant s’effondre. L’opacité financière est instantanément sanctionnée en euro par le retrait des créanciers et déposants internationaux de la monnaie opaque. La masse monétaire en euro est la mesure permanente totalement élastique de la transparence financière mondiale.
La hausse des primes de change et de crédit dans une monnaie est sans impact sur les autres monnaies puisque les mouvements sur les actifs réels sont observables séparément des mouvements financiers. L’euro monnaie commune d’un système européen de garantie du crédit opère la séparation entre finance et économie réelle. Séparation inexistante dans le non-système actuel fondé sur le dollar.
Dans le non-système dollar livre sterling, la spéculation financière n’est pas différentiable de la spéculation sur la réalité future incertaine. Dans la compensation en euro germano-latin, il n’est possible de souscrire ou de vendre des primes que sur des transactions portant sur le réel présent ou anticipé. Il est impossible de jouer avec des prix futurs sans s’exposer à payer le prix de ses erreurs d’anticipation. Les monnaies nationales sont alors la cotation en euro de la capacité anticipative réelle des système juridiques nationaux. L’économie financière est de nouveau strictement asservie à l’économie réelle.
L’Union Européenne peut annoncer aujourd’hui-même la réforme de l’euro. Elle tue instantanément la spéculation financière ; resolvabilise les États par les dévaluations à venir des monnaies nationales ; et recapitalise ses banques par la réévaluation en euro des portefeuilles d’actifs réels et la dévaluation en monnaie nationale des portefeuilles de créances et de dettes.
Ce programme de refondation de la démocratie européenne doit être mis en œuvre par des gouvernements d’union nationale engagés dans la restauration des pouvoirs politiques au service des peuples. Une fois la démocratie restaurée, les débats politiques plus classiques pourront reprendre sur la meilleure politique sociale, économique, fiscale et budgétaire. Mais le contexte aura radicalement changé par la restauration de la responsabilité politique publique entre des nations différenciées par leur monnaie propre mais solidaires par l’euro.