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15 décembre 2011 4 15 /12 /décembre /2011 17:06
L'Europe à l'épreuve d'une nouvelle vérité économique

Dans sa conférence du premier décembre 2011 au petit-déjeuner du Centre des Professions Financières, Michel Aglietta montre les dysfonctionnements de la zone euro au regard des buts qui avaient justifié sa création. Le surendettement privé en euro révélé par le choc des subprimes n'a pas été résorbé. La dette publique a pris le relai de la dette privée afin que la liquidité des échanges soit préservée dans la zone. Les disparités de régulation du crédit entre les États membres ont débouché sur la crise des dettes publiques.

Le choc des subprimes venu des Etats-Unis a cristallisé l'hétérogénéité des cultures financières européennes. La politique monétaire unifiée en euro s'est adossée à des politiques publiques divergentes de solvabilité publique et privée. L'ajustement économique par les parités monétaires étant par construction exclu, l'accumulation de dettes intra-européennes a servi à différer les restructurations dans les pays en déficit de financement intérieur et extérieur.

De fait les excès de dette en dollar se sont mécaniquement transformés dans la zone en excès de dette en euro. Le phénomène débouche au minimum sur le défaut d'un pays entier comme la Grèce. Il n'est plus possible d'envisager la résolution du défaut grec à l'intérieur des lois et des principes qui ont fondé la zone euro.

La fin du dogme de la neutralité monétaire

Michel Aglietta juge le rétablissement de la drachme inévitable afin de produire un ajustement des prix grecs face à la dette en euro. Le redémarrage de l'économie grecque par la baisse des achats en euro et la hausse des ventes en drachme devient la seule voie de possibilité d'un remboursement des dettes publiques et privées. A la dévaluation de la monnaie grecque, il faut ajouter des investissements européens pour soutenir la transition économique de la Grèce à l'intérieur de l'ensemble européen.

La renationalisation de monnaies à l'intérieur de la zone euro peut se concevoir comme un outil collectif européen d'ajustement économique. Aglietta réhabilite les deux dimensions politique et économique de la monnaie. La politique monétaire unifiée par l'euro peut se révéler défaillante à signifier l'efficacité économique de la coopération européenne. Il faut donc s'interroger sur l'impact d'une spécification monétaire de la Grèce dans le cadre de la zone euro.

Le défaut de la Grèce dans la zone euro est-il structurel ou conjoncturel ? La zone euro est-elle organisée et outillée pour traiter les divergences économiques et politiques qui justifient une dévaluation spécifique à la Grèce ? Le rétablissement de la drachme pose la question de la soutenabilité de la monnaie unique pour les autres partenaires de l'euro.

Une régulation publique de la finance à construire

Aglietta plaide pour de nouveaux instruments de politique économique dans la zone euro. Le budget et les investissements communautaires doivent être renforcés par rapport aux budgets nationaux. Le pouvoir politique communautaire doit avoir une capacité propre d'émission de dette dont les Européens soient solidairement responsables indépendamment de leur nationalité.

Le nouvel instrument est donc la dette spécifiquement européenne. Les eurobonds constitueraient un nouveau collatéral solide pour la politique de liquidité de la BCE ; laquelle obtiendrait davantage de liberté à émettre de la monnaie surtout dans le contexte déflationniste actuel. La dette publique européenne serait adossée à une titrisation financière des responsabilités proprement communautaires comme l'environnement et le cadre de vie.

En amont de la nouvelle gouvernance européenne, les fiscalités peuvent être harmonisées ; des recettes sont pré-affectées au budget européen. En aval de la gouvernance, le système bancaire européen revient dans un cadre spécifiquement européen où les paradis fiscaux ne sont plus librement accessibles et où les mouvements de capitaux avec l'extérieur de la zone sont contrôlés.

La zone euro devient donc clairement un espace de réglementation financière. La possible mobilisation des ressources fiscales pour compenser les pertes éventuelles du système bancaire implique la séparation des activités de dépôt garanties par le crédit public et les activités d'investissement. La banque d'affaire doit assumer seule ses risques et pouvoir être mise en faillite si ses pertes sont insuffisamment anticipées.

Reprise politique de la définition de la monnaie

Aglietta rompt trois dogmes dans ses propositions de transformation de l'Europe. Une politique d'unification européenne doit passer par des chemins autres que la seule monnaie unique. Le libre-échange doit avoir des limites politiques qui établissent la raison d'être économique de l'unité européenne. La finance utilisant les liquidités de la BCE ne peut pas échapper à une régulation publique faisant intervenir directement les institutions politiques communautaires.

La rupture avec les principes de politique économique à l'origine de la crise actuelle a pour Aglietta une traduction concrète : la parité de change de l'euro dans les monnaies non-européennes doit pouvoir évoluer dans l'intérêt explicite des Européens ; lequel n'est pas nécessairement contradictoire avec l'intérêt général mondial. L'Union doit se doter des instruments d'une politique de change.

Le problème posé est finalement celui de la politique de change de l'euro. En confiant leur politique monétaire à une BCE autonome, les membres de la zone euro ont posé leur monnaie comme un outil politiquement neutre obéissant à sa propre logique indépendante du débat sur le vivre ensemble euro-européen. La définition de l'euro ne doit plus être détachable de la délibération politique nationales et communautaire.

Le postulat de la neutralité monétaire de l'euro a impliqué l'absence de position politique délibérée sur le taux de change avec les autres monnaies de l'Union et avec les grandes monnaies internationales dont le dollar et le yuan. La convertibilité internationale de l'euro est restée sous la responsabilité des intérêts particuliers des banques. La solvabilité des États européens à l'origine de la valeur d'échange de l'euro est restée sous la seule appréciation des banques et des marchés internationaux.

Défaillance mondiale de la régulation du crédit

De fait, le système financier européen n'a pas été outillé pour mesurer le risque de la liquidité en dollar. Les banques empruntant à la BCE utilisent librement la liquidité en dollar dont les conditions sont concurrentes de l'euro. De fait, les euro-États ont emprunté la loi du dollar pour ne pas discuter de la loi du crédit en euro. De fait, la politique monétaire de la BCE n'a pas porté sur une régulation de la masse et de la répartition des crédits en euro.

Le maniement central des taux d'intérêt n'a pas établi les normes européennes commune de solvabilité applicables à tous les emprunteurs. L'effondrement actuel de l'économie réelle mondiale sous le poids de la dette met en cause le statut de la monnaie dans le crédit ; dans la zone euro comme dans le reste du monde.

La cause première du dérapage de la dette mondiale est l'endettement illimité du Trésor Étatsunien en dollar. La cause seconde est la monétisation illimitée des dettes en dollar par la Fed. La zone euro s'est imbriquée dans la monétisation libre de la dette en dollar sans fixer de loi de régulation de la liquidité du crédit.

Les propositions d'Aglietta ajoutent une finalité à l'euro que le dollar n'a pas. L'euro doit être un instrument non neutre de régulation du vivre ensemble politique et économique européen. Cela signifie que la valeur intrinsèque de l'euro doit refléter l'intérêt des Européens différencié des pays qui ne partagent pas les mêmes conceptions politiques et économiques.

Si les Européens s'engagent sur les mêmes normes communes de crédit, l'euro ne doit pas masquer les disparités objectives entre Européens. L'euro doit être un instrument de responsabilité financière pour les institutions de l'Union, pour chaque État, pour chaque banque bénéficiaire de la liquidité de la BCE et donc pour tout emprunteur face à ses prêteurs. En d'autres termes, l'euro doit être un outil d'indexation matériel et juridique du crédit sur l'économie réelle du vivre ensemble européen.

Synthétiser la monnaie dans l'équilibre du crédit

Que pense alors Aglietta d'un système d'euro-monnaies nationales exclusivement convertibles en euro ? Un système de compensation centralisé garanti par une juridiction publique européenne ; une chambre de compensation publique indépendante des opérateurs, auto-financée et garantie par une fiscalité sur les transactions de marché ; des transactions intégralement soumises à l'actuelle réglementation européenne.

Le système des euro-monnaies adosserait la politique de liquidité de la BCE à des transactions financières garanties ; structurellement garanties par une solidarité de marché transparente en euro. Les euro-monnaies compensées et convertibles en euro actualisent la responsabilité propre à chaque pays. La zone euro explicite et mesure les responsabilités nationales de maîtrise des finances publiques et de régulation des banques.

La parité de l'euro-monnaie nationale compensée en euro évalue en droit européen contre de l'épargne en euro le prix de chaque politique économique, budgétaire et financière nationale. Les pertes de solvabilité en euro sont sanctionnées par la dévaluation. Les excédents nationaux d'épargne entraînent la réévaluation de l'euro-parité.

Les investissements européens et le budget commun sont libellés en euro. Les coûts et bénéfices de chaque contribution nationale aux actions communes sont mesurés en euro-monnaie nationale ; laquelle s'évalue en euro par des bénéfices de valeur supérieure aux coûts et se dévalue dans le cas contraire. Les monnaies européennes s'évaluent en unité du temps efficace : l'euro-parité varie pour que tout engagement à terme puisse être tenu.

L'euro étalon de financement du bien commun de l'Europe

L'euro monnaie unique a été fondée comme le dollar sur l'absence de responsabilité financière des emprunteurs et prêteurs systémiques. Le statut de personne publique ou d'entreprise financière multinationale dispense de fournir une comptabilité vérifiable des engagements actifs et passifs. L'euro monnaie commune devient un étalon universel du crédit : l'effort du crédit véridique est objectivement partagé entre le prêteur, l'investisseur et l'emprunteur.

Dans une compensation publique en euro, la puissance publique nationale et communautaire est garante de la démocratie dans le long terme. Elle protège les personnes physiques par l'application du droit et de la solidarité économique. Elle finance les investissements dont les bénéfices sont généraux et dont le coût n'est pas raisonnablement imputable à des contribuables particuliers.

La compensation adosse l'euro à un équilibre européen de la démocratie économique. Les primes de change des euro-monnaies sont compensées en euro par les primes de capital des banques de crédit et les primes de crédit des débiteurs en droit européen. N'est-il pas temps que l'Europe récuse la neutralité politique et économique de la monnaie ? N'est-il pas temps que l'euro matérialise une volonté européenne de démocratie et d'économie humaines ?

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Pierre Sarton du Jonchay
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Le Blog de Paul Jorion

 

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