Par Alexis Toulet
Il y a une manière de résumer la vie politique française de ces quarante dernières années qui est certes simplificatrice voire lapidaire, mais pas fondamentalement fausse. Depuis 1974, Giscard d'Estaing a toujours été président.
C'est en effet bien lui qui a défini les bases fondamentales de la politique générale du pays, c'est-à-dire les orientations pro-européenne, économiquement libérale, libérale aussi en matière de mœurs.
Ces orientations ne déterminaient sans doute pas tout, et les dirigeants ultérieurs et autres forces politiques ont aussi eu leur influence. Mais ils n'ont jamais pu durablement remettre en cause ces orientations, et c'est bien Giscard qui les avait sinon définies, du moins implémentées :
- François Mitterrand n'a pas su, ou voulu, ou osé, maintenir la politique sur laquelle il avait été élu, d'où le « tournant de la rigueur » en 1983, deux ans plus tard.
- Jacques Chirac lui aussi choisit de revenir sur ses promesses sociales de campagne en 1995 et ne parla plus des « technocrates de Bruxelles » ; lui aura tenu quelques mois.
- Lionel Jospin arrivant aux commandes en 1997 tiendra quelques semaines avant d'ordonner une nouvelle vague de privatisations
- François Hollande, dont l' « adversaire » était « la finance », tiendra quant à lui quelques mois, un peu plus honorable que Jospin, grossièrement à égalité avec Chirac qui d'ailleurs l'avait soutenu
Tous ont du en revenir aux orientations définies par le Président majuscule, le « Président éternel » pourrait-on dire peut-être comme on appelle Kim Il-Sung en Corée du Nord ?
Emmanuel Macron, comme Nicolas Sarkozy avant lui, est arrivé au pouvoir avec une orientation libérale et pro-européenne claire. Il est difficile de lui reprocher de céder voire d'avoir volontairement trompé, comme aux Mitterrand, Chirac, Jospin ou Hollande. Il est tout à fait possible de lui reprocher d'avoir de vieilles idées, en effet - contrastant avec son âge, puisqu'il n'était pas né quand Giscard fut élu !
Mais depuis plus de quarante ans qu'il est au pouvoir, après moult tentatives avortées de le remettre en cause, les partisans de ce qu'Alain Minc appela « le cercle de la raison » ont bien des raisons de penser qu'en vérité « il n'y a pas d'alternative » (TINA). Même si un Mélenchon ou une Le Pen parvenait un jour au pouvoir, pensent-ils sans doute, il ou elle ne pourrait faire que des dégâts, pas définir une alternative opérationnelle, et après les ravages d'un dirigeant de ce type l'on ne pourrait que reprendre le même chemin. Puisqu'il est unique !
Sont-ils en train de faire erreur, comme la dinde que l'on prépare pour Thanksgiving qui a de plus en plus confiance dans ce gentil être humain qui vient quotidiennement la nourrir - jusqu'au jour où il arrive le couteau en main ? En d'autres termes, la longue série des présidents qui promettent "une autre politique" puis se découragent voire tombent le masque tout juste élus peut-elle connaître une vraie fin, au-delà d'un possible "accident" type dirigeant populiste ?
Un dirigeant qualifié de "populiste" mais qui réussirait, ou bien un dirigeant qui de l'intérieur du Cercle le réorienterait dans une nouvelle direction ?
L'avenir le dira. Le financier, statisticien et essayiste Nassim Nicholas Taleb a popularisé le concept du "cygne noir", c'est-à-dire l'événement qu'on n'avait pas conçu comme improbable : on le pensait impossible, au point que la possibilité-même qu'il advienne n'avait pas été aperçue.
Un mouvement politique et un dirigeant qui mettrait en pratique pour la France un autre modèle et qui réussirait, voilà qui serait un cygne noir, du moins pour les tenants du Cercle.